Echos du 1er mois de Pauline et Achille à Natitingou au Bénin
Pauline, interne en médecine
C’est parti pour la mission. A la clinique il n’y a pas de médecin pour le moment, je pensais qu’il était en vacances mais j’apprends au fil de la semaine que cela fait quelque temps qu’il n’y en a pas et les infirmiers me disent que le directeur compte peut-être sur moi. En effet, je fais avec les infirmiers les consultations, dès le premier jour ils voulaient que je les fasse toute seule je leur ai aussitôt dit que j’allais d’abord observer comment ils faisaient !
Les rôles sont décalés, les infirmiers font les consultations, prescrivent, et font les diagnostics, les aides-soignants font les soins, posent les perfusions et font les prises de sang. Il y a un petit labo pour les analyses essentielles (NFS, CRP, gouttes épaisses pour le paludisme, ionogrammes…
Le vendredi je ne vais pas à l’hôpital mais à l’école primaire de saint augustin. Il y a 2 classes de maternelles, équivalentes à la petite et moyenne section en France. Il y a une maîtresse pour les petits et c’est la sœur, qui est également directrice de l’école, qui fait la classe au moyen. Je vais donc les aider 1 jour par semaine.
Nous étions déjà venus les voir le lundi matin après la clinique Saint Luc, et quand nous étions rentrés dans la classe tous les enfants avaient répété en chœur après la maitresse : « Bonjour Papa et Maman ! ». Par la suite les enfants m’appellent « Tata Pauline » !
Dans la classe des petits, je découvre et apprends leurs petits chants et leurs manières de faire pour apprendre. On fait une leçon pour apprendre à tourner les pages d’un livre et la maîtresse raconte un conte illustré par des images : « Doudou et l’œuf », pour apprendre aux enfants qu’il ne faut pas voler.
Je l’aide à colorier des images pour une activité de la semaine prochaine, elle remarque que je suis assez à l’aise pour colorier. Je lui dis que j’aime bien dessiner et donc elle me dit que je pourrai l’aider à faire des dessins pour des contes ou des activités afin de varier ceux qu’elle a déjà. Je vais l’aider pour ça et je vais réfléchir aussi à des activités manuelles ou d’expression plastique que je peux faire avec les enfants. Je suis ravie d’avoir trouvé quelque chose de concret que je pourrais faire avec eux.
Pour ne pas avoir trop chaud, Achille part en footing à 6h30. Il croise deux blancs. Ils échangent rapidement, c’est un couple anglo-suisse qui vit au Bénin depuis 20 ans, ils traduisent la Bible dans un dialecte local.
Nous partons le dimanche dans leur Toyota en direction du sud de la ville, dans une ferme biologique tenue par deux suisses…
Nous nous promenons dans la brousse, débouchons sur des champs de culture d’igname, de sorgho, de maïs, de palmiers, de manioc et de riz. Nous ne connaissons aucune plante sauvage à part quelques fougères. La nature est dense, c’est dépaysant, elle s’étend loin, sans traces humaines, dotée d’une diversité impressionnante d’essences. De temps en temps, nous avons les pieds dans l’eau en passant dans des rizières.
Les discussions vont bon train. Afin de traduire la Bible le plus fidèlement possible, ils font aussi de l’anthropologie. En wamman le mot « esprit » n’existe pas… difficile lorsque l’on veut traduire la Bible. Mais cela questionne aussi sur la perception de l’être vivant dans cette ethnie. Avant eux, un seul anthropologue a travaillé dans les années 70 sur le même domaine qu’eux.
Et puis il faut parler des oiseaux, Charonne et Johannes sont aussi passionnés d’ethnologie. Avant que les djihadistes n’occupent les parcs naturels au Nord de Natitingou, ils se rendaient souvent dans ceux-ci et ont découvert des espèces d’oiseaux qu’ils étaient les premiers à voir au Bénin !
Jumelles autour du cou, nous nous arrêtons souvent, regardons des oiseaux, aux couleurs souvent chatoyantes, chanter. Johannes estime qu’en Suisse, sur une balade équivalente, ils voient une vingtaine d’espèce… et ici une soixantaine. Nous retenons le cordon bleu (équivalent du moineau mais en bleu), la tourterelle (une cousine de la tourterelle que nous connaissons… mais là elle n’a pas fait d’effort de couleur, elle est grise), une sorte de colibri et un oiseau noir à tête rouge orangé (évêque quelque chose).
Achille, prof de math physique :
Je donne mes premiers cours au collège. Lorsque les élèves entrent dans la salle de classe, certains se figent, ont les yeux qui s’arrondissent et la mâchoire qui tombe.
Ce n’est pas le scénario d’un dessin animé, c’est vraiment ce qui s’est passé. Certains reculent précipitamment lorsque je leur adresse la parole… ils ont un peu peur visiblement. J’apprends suite à un rapide sondage, qu’une infime partie d’entre eux a déjà parlé avec un blanc.
Les effectifs sont très gros : jusqu’à 71 par classe. Il y a une craie blanche, un tableau noir, parfois un chiffon pour le tableau. Les élèves qui ont suffisamment d’argent peuvent avoir des photocopies du cours, les autres font sans. Les heures de cours de 17h à 19h se terminent à 18h30 car les élèves ne voient plus le tableau : les salles ne sont pas électrifiées.
Passé leur mutisme de stupeur initial, ils deviennent rapidement des élèves qui savent bavarder. Je commence à faire la police dans les rangs… et ce n’est vraiment pas la partie que je préfère. Je réalise aussi de grosses audiences parmi un public qui n’est pas celui de mes élèves. Il y a souvent un attroupement d’élèves d’autres classes qui me regardent faire cours par la porte ou par les fenêtres… si C8 et NRJ12 cherche à se relancer, j’ai une piste pour eux, gros audimat garanti !
Les cours reprennent. J’essaie de faire quelques travaux de groupe, visiblement ils n’y sont pas habitués, je rectifie le tir sur les cours suivant en instaurant un cadre de plus en plus précis sur la manière par laquelle je veux qu’ils travaillent ensemble. Certaines salles de classes à 3 murs sur 4 font qu’un va et vient incessant passe à côté du cours. Mes audiences de curieux à la porte ne retombent pas, j’ai décidément un public très fidèle !
Achille et Pauline, Natitingou, Bénin, octobre 2024