4h15 du matin… le gong du réveil m’a réveillé en sursaut ! Il est temps de se préparer pour la messe de 5h00 ! Il est certain que les horaires des messes quotidiennes au Viet Nam piquent parfois les yeux, mais j’ai de la chance, certaines sont encore plus tôt le matin…
Je suis arrivée hier soir 4 août 2018 à Ho Chi Minh Ville (HCMV), appelé historiquement également Saigon, et loge dans une communauté de religieuses St Paul de Chartres. La communauté compte une vingtaine de sœurs et une soixantaine de novices et postulantes. Pendant mon mois de présence au Viet Nam, elles deviendront comme de vraies sœurs pour moi et les taquineries seront quotidiennement au rendez-vous!
Je travaille dans un orphelinat de la ville en charge d’enfants poly-handicapés (physique et mental). J’ignore combien d’enfants il y a, mais certainement plus de 200. Les handicaps sont multiples et les âges divers. On peut sans doute s’étonner de la quantité d’enfants orphelins et handicapés et je ne pense pas que ce soit le seul centre au Viet Nam…
Pour beaucoup de cas, les familles se trouvent démunies face à un enfant handicapé. Les parents doivent impérativement travailler, sinon il n’est pas possible de s’en sortir et donc un enfant handicapé devient une charge non assumable (temps, coûts, soins etc).
De plus, les enfants subissent souvent des handicaps très déformants. En effet, la guerre du Viet Nam a laissé des séquelles très profondes suite à l’utilisation massive d’agents chimiques : sols et eaux spoliés et déformations génétiques sur plusieurs générations. Pendant mon séjour, j’ai eu l’occasion de visiter le musée de la guerre à Saigon et une salle de photos titrait « Les conséquences de la guerre » : les photos des enfants qui étaient montrées ressemblaient aux enfants dont je me suis occupée pendant ce mois d’août. Près de 50 ans après… Terrible.
Mes deux premiers jours à l’orphelinat ont été un choc frontal pour moi. J’ai vu tant d’enfants handicapés, tant de déformations inimaginables. En façade je suis restée calme, mais au-dedans de moi j’étais bouleversée. Je regardais ces enfants avec pitié et compassion, comment faire autrement devant de misère ?? Après deux jours ainsi, j’ai remarqué le comportement de certains enfants à mon égard : spontanéité, attentes à mon égard et par-dessus tout, une attitude qui indiquait clairement « ben oui, je suis comme cela, je ne connais rien d’autre, je n’attends pas de ta pitié et qu’en ferais-je ?!». J’ai dû me rudoyer moi-même pour très vite adopter un autre état d’esprit avec ces enfants : une attitude positive. A partir de ce moment, certes je voyais l’handicap de l’enfant, mais ce n’était plus cela l’essentiel. L’essentiel était l’enfant lui-même et ce que nous pouvions faire ensemble, ses réactions, ses éventuels sourires ou sentiments. A partir de là, j’ai passé un mois formidable avec eux !
N’étant pas de formation médicale, j’ai dû me forger ma place et mon action au sein de chaque service que j’ai intégré au fur et à mesure du mois. En général, je surveillais les enfants, jouait avec eux, les divertissait et aidait les soignants dans certaines tâches (linge, nettoyage…). Et puis, par-dessus tout, il me semble que le terme « ÊTRE avec eux » était le plus important et résume le mieux mon mois de volontariat. En effet, ces enfants sont dans un environnement qui ne leur donne que très peu de tendresse ou douceur. Peut-être était-ce cela le sens de ma présence là-bas : leur donner ce qu’ils ne reçoivent pas…
Mon approche des enfants devait constamment être modulée selon leurs capacités et handicaps etc. Certains enfants étaient de suite ouverts et ravis qu’on s’approche d’eux, pour d’autres une simple caresse sur la main les rendait très nerveux et ils se tapaient la tête sur le sol par exemple, car ils n’y sont pas habitués. Ce mois, bien que (trop) court, aura été très riche en émotions et enseignements.
Au cours de mon séjour, j’ai pu rencontrer pour la première fois deux garçons que je parraine depuis longtemps pour leurs études, via une association. Ces rencontres, l’une à HCMV et l’autre dans la région de Hué, auront été très intenses et émouvantes, comme on peut l’imaginer. Leurs situations de vie, soit à la campagne, soit à la ville, se révèlent similaires : (très) difficiles. Par exemple : le papa d’un des jeunes travaille comme taxi mobylette sur Saigon et gagne 100 000 Dongs par jour (soit environ 4€). Son loyer mensuel s’élève à près de 3 000 000 de Dongs. Le calcul est simple : il travaille le mois entier uniquement pour le loyer et de fait la maman doit trouver des petits emplois pour essayer de combler un peu. Les enfants qui ont donc l’occasion d’aller à l’école sont l’espoir de toute la famille : grâce à leurs études, ils pourront peut-être trouver un meilleur emploi et ainsi subvenir à toute la famille.
J’ai également eu l’occasion de visiter un des quartiers pauvres de la ville avec une des sœurs de la communauté. Peut-on parler de « visite » dans ces cas… Ce que j’y ai vu était affligeant. Au fur et à mesure que l’on avançait dans ce quartier et dédales de ruelles, ces dites ruelles se transformaient en venelles et boyaux et il a fallu continuer à pied pour avancer : trop étroit. Les habitations, car on ne peut parler de « maison », se résument à 1 voire 1.5 pièces pouvant héberger 5 à 8 personnes et la seule source de lumière naturelle provient de la porte d’entrée. Nous sommes entrés chez une petite grand-mère n’ayant pas eu d’enfants (=pas de soutien et donc pas de quoi manger) et c’était tellement étroit et précaire que la lumière du jour n’y entrait plus. Les sœurs ont pris en charge une trentaine d’enfants de ces quartiers pauvres et étant dans des situations sociales très délicates : elles leur dispensent des heures de classe et essaient de les guider vers des voies constructives.
En sortant de ce quartier de HCMV et en ayant vu la situation de mes filleuls, je me suis demandée quoi faire ?! Quelle est la porte de sortie à tout cela ?! J’ai alors pris la pleine mesure du principe de l’éducation : éduquer, instruire pour mieux s’en sortir. Ce principe parait évident et on le dit souvent, mais là c’était différent, j’avais pris en pleine figure toute la profondeur du principe.
Faut-il donner une conclusion à mon expérience ? Qu’en ai-je retiré ? J’ai vu beaucoup de choses, compris d’autres, vu en partie la situation d’un pays et des gens. J’ai vécu cette expérience également avec ma foi en Dieu, en l’incluant dans mon quotidien, en lui demandant son aide constante pour que je puisse accueillir mon prochain comme Lui le ferait. Je lui ai demandé ce que je Lui avais déjà demandé lors de mon précédent volontariat : « Pour mon prochain, donne à mon cœur la largeur du tien ». Mon temps de volontariat aura été par certains aspects difficile, mais également tellement riche de la beauté et profondeur de ce que j’ai vécu et de mes rencontres formidables.
Ma conclusion ? Que vais-je faire avec tout cela ? J’avoue que je n’en sais rien à ce jour…j’ai repris mon travail et repense souvent « à là-bas ». Mais j’ai confié la suite de mon chemin au Seigneur…