Enseigner le français en Inde

Les cours de français ont commencé ce mardi 3 juillet. Aujourd’hui, je me sens pleinement dans mon rôle de professeur, il était difficile au début de se retrouver en face d’étudiants dont je me sens proche car je le suis encore, et devoir enfiler cette nouvelle casquette, pleine de responsabilité et nécessitant un comportement digne de ce nom. J’étais impressionné, mais je me suis vite adapté, j’ai trouvé un bon équilibre qui me permet d’avoir le calme et l’intérêt, et en même temps pouvoir me sentir détendu et moi-même.
J’ai eu assez de mal au début à organiser mes cours, surtout quand il faut faire la même chose à des classes différentes, car on explique toujours mieux la deuxième fois, et encore mieux la troisième, et on donne souvent des exemples et du vocabulaire différents. Vous l’avez donc compris, ma manière de faire est assez interactive et s’adapte à la compréhension de la classe, je m’appuie bien entendu sur une base qui est la même pour tous.
Ainsi, j’ai vite compris que ma méthode d’enseignement, qui pour moi me parait évidente car j’ai tous les automatismes et évidences de MON système scolaire, est totalement différente des méthodes de ce système scolaire. En effet ici, la majorité des profs viennent en classe, donnent le cours, donnent les explications, et s’en vont, l’examen consiste alors à réciter par cœur. Les élèves ne posent pas de questions, et les professeurs ne s’attendent pas à en avoir, c’est vraiment curieux. Et donc la plupart du temps je me retrouve confronté à toutes ces habitudes établies, et je me sens incroyablement seul sur mon estrade, et les étudiants attendent que je mâche tout le travail et leur donne le cours tout cuit. Aujourd’hui ça commence à mordre et les élèves commencent à interagir avec moi, à ne pas avoir peur de faire des erreurs, et donc à s’approprier plus le cours. C’est une expérience fabuleuse pour un professeur d’avoir une telle heure de cours, car lorsqu’on sent l’intérêt, on devient bien meilleur dans ses explications.
Voici donc pour vous expliquer un peu au niveau des cours. Pour ma part je suis assez passionné de découvrir tant de différences entre nos systèmes d’apprentissage et de pédagogie, et je suis donc toujours attentif et intéressé à étudier cela. Le vivre est une magnifique expérience. Je commence aussi à me lier un peu avec mes élèves, surtout un étudiant africain, qui parle français et avec qui on partage un enthousiasme similaire sur la découverte de l’Inde.
Les côtés moins attractifs sont que le volume horaire est assez soutenu, 4h de cours, ce qui veut dire 4h de concentration non-stop et après la préparation de ceux-ci. Parfois j’ai besoin de prendre congé, mais bien entendu ce n’est pas possible. Je découvre alors ce que c’est de s’investir et donner son énergie bénévolement, c’est littéralement « donner » que d’être missionnaire. Je voulais découvrir ceci, je pense que je peux mettre aujourd’hui les véritables émotions sur les mots que j’avais utilisés il y a quelques mois pour décrire comment je voulais m’investir. Je suis vraiment heureux de ce que j’accomplis aujourd’hui.
Bien entendu, j’insiste sur le « donner » car c’est la principale occupation de ma mission, mais je reçois énormément. La satisfaction d’avoir apporté une ressource utile est le plus beau des retours.J’ai aussi beaucoup de chance avec l’accueil dans la communauté, je suis vraiment accueilli a bras ouvert, chacun prend soin de mon bien être et je suis invité à participer à toutes les activités. Je participe à la majeure partie d’entre eux, ce qui me permet de créer de vrais liens avec la plupart des prêtres et sholastiques, avec qui je commence vraiment à rigoler. Je participe à la messe aussi, une à deux fois par semaine, et au temps de prière, deux fois par semaine. Ces derniers sont des moments privilégiés, tous les étudiants de l’hostel viennent s’asseoir en silence devant l’église, et un petit groupe chante des chansons et lis des prières, j’apprécie beaucoup de partager ce moment joyeux avec les autres. Le fait que je ne sois pas croyant a d’abord surpris mais a ensuite provoqué des discussions ouvertes et intéressantes sur la foi, chacun l’accepte et se fait une joie de me voir participer aux messes et aux prières. De même, certains prêtres sont allés en Europe et savent que la situation spirituelle est bien différente de l’Inde là-bas, et comprennent donc totalement.
J’ai aussi beaucoup appris de la vocation de prêtre, je ne savais pas auparavant ce qu’impliquait réellement le fait de donner sa vie à Dieu, j’ai donc beaucoup changé mon regard sur les religieux, et cela n’a fait que grandir mon respect pour les vocations.
J’ai aussi commencé à apprendre le Tamil, je connais maintenant l’alphabet et je suis capable de lire lentement. Je connais aussi les mots basiques pour faire connaissance et se faire recevoir, ce qui me suscite toujours l’intérêt et la reconnaissance, je ne suis pas vu comme un touriste, et cela m’offre un rapport privilégié dans la plupart de mes rencontres. La langue est sûrement une des meilleures portes d’entrée Aujourd’hui je me sens bien, j’ai le sentiment de gagner beaucoup par les innombrables expériences qui se présentent chaque jour. Je n’ai pas beaucoup de recul et il est donc parfois difficile de me rendre compte de ce que je vis, mais ce n’est qu’une question de temps et le retour viendra particulièrement me donner du recul. Je reste attentif à ce qui m’arrive, tout en me laissant porter vers le quotidien indien, pour me déconnecter de mon quotidien en France.
C’est la première fois que je suis aussi loin de chez moi, et aussi longtemps. Au début il m’était assez dur de me séparer de mes proches et de ma vie dans le Nord auquel je suis très attaché, et après 3 semaines je pensais déjà à mon retour. Ce sentiment s’estompe peu à peu, car j’ai appris à prendre le temps de vivre ce que j’avais ici, mettant un peu plus de côté mes attaches, que je retrouverai plus tard.
David Veroone, été 2012