Kampala

Je m’appelle Maxence, j’ai 23 ans, je suis architecte depuis un an. Et avant de commencer à travailler, je voulais depuis longtemps vivre une expérience de volontariat. À la fois pour le voyage, l’aide de l’autre et surtout l’apport pour ma personne, en termes d’humilité, de vision du monde et d’ouverture.

J’ai donc été envoyé en Ouganda (pays en plein centre de l’Afrique) en tant qu’architecte à Kampala, la capitale. J’ai été accueilli dans une grande maison accueillant en moyenne une douzaine de prêtres et deux domestiques. Et mon ressenti à l’issue de quatre mois en immersion, c’est que j’ai vécu une expérience complète à tous les points de vue : je retiens trois en particulier que je vais vous développer après.

Mon expérience, c’est aussi que dans ma malchance, ou plutôt dans l’inanticipation, j’ai eu énormément de chance. Pourquoi ma malchance ? Il faut savoir qu’Amos – Estelle particulièrement – avait très bien préparé mon voyage en amont, j’avais été mis en contact avec un des prêtres sur place qui souhaitait m’introduire à un projet d’école technique en collaboration avec un architecte local. Malheureusement, lors de mon arrivée, il n’y avait pas d’architecte pour qui ou avec qui travailler, il n’y avait pas de projet non plus et le prêtre en question, je l’ai vue pendant une matinée puis, il a un peu disparu. Je me retrouve au milieu de l’Afrique avec strictement rien à faire et aucune perspective de travail. Je me suis demandé un peu ce que je foutais là. Pour être honnête, mes trois premières semaines ont été assez ennuyantes.

Mais, c’est là qu’arrive la chance. Car cette situation, elle finit par me forcer à me bouger un peu les fesses. L’excuse de « je suis en pays étranger, je suis perdu, je ne comprends pas », elle ne fonctionne pas, parce que quatre mois comme ça, ça va être un peu long. D’abord, j’ai laissé l’architecture de côté et j’ai cherché à vivre au maximum comme un local et découvrir le pays comme un local.

En insistant pour suivre les prêtres dans leur journée notamment, peu importe la destination. Ça pouvait être dans l’impressionnante basilique des martyrs de Kampala, ou alors, pour une messe au milieu des bidonvilles, entre un caniveau remplis de plastiques et une décharge de motos qui libérait des coulés d’essence sous mes pieds. J’ai pu être invité aussi chez des familles avec lesquelles j’avais au départ du mal à interagir, que ce soit à de ma couleur de peau, des sujets de discussions ou de l’accent à couper au couteau.

Mais avec le temps et en apprenant le dialecte local, les interactions étaient de plus en plus nombreuses, plus faciles et les différences de moins en moins ressentie. Ce temps-là, j’en ai profité pour apprendre à être autonome, à me servir des motos-taxis, les bodas, à apprendre les prix de tout et à savoir négocier pour pas me faire avoir à cause de ma tête de Muzungu (le nom des blancs en Luganda). Ma première semaine par exemple, je payais mes boda 8000, à la fin, je montais dessus pour pas plus de 2000. J’ai même commencé à soudoyer la police lorsque j’en avais besoin, notamment pour la mise à jour de mon visa (pour 10 euros, j’ai gagné 12 heures d’attentes et une expulsion du pays par la même occasion). J’ai donc pu me déplacer à travers toute la ville, explorer ses édifices, aller au cinéma, goûter à sa gastronomie, jouer au tennis sur un terrain avec des raquettes de squash, rencontré des gens de tous les milieux (du pauvre cul de jattes rampant sur le bitume, à la deuxième fortune du pays). J’ai donc eu un certain temps, ou certes, je n’aidais pas et la raison de mon volontariat était en retrait. Mais j’ai pu m’imprégner pleinement de la culture, des gens et des manières.

Au bout de quatre mois, je connaissais mieux la ville que certains prêtes missionnaires qui y étaient présents depuis plusieurs années et je connaissais mieux les Ougandais que certains occidentaux qui habitaient là depuis bien plus longtemps que moi. Je me rappelle avoir rencontré des Français qui habitaient là-bas depuis un an et demi et qui, à part pour le taxi et le restaurant, n’avaient jamais discuté avec des locaux.

Puis, à force d’insister auprès des spiritains, j’ai pu être introduit à mon premier projet au bout d’un mois… Une école déjà en chantier à laquelle il manquait un dortoir pour 100 garçons et des appartements pour des professeurs. Mon travail s’est arrêté donc à la conception des plans. J’ai mis aussi plusieurs semaines avant de comprendre que les prêtres à qui j’envoyais mes travaux ne savaient pas les lire. Et donc à l’aide de divers dessins, j’ai pu faire valider mes édifices. Arrive ensuite mon deuxième projet, sur la même école ou en attendant les futurs bâtiments, il fallait pouvoir loger les professeurs et les garçons de manière provisoire. J’ai ainsi effectué les plans de chambres éphémères dans des salles de classes inoccupées. J’ai ensuite fait la rencontre d’un architecte local que j’ai assisté sur plusieurs constructions et avec qui nous avons beaucoup échangé et appris l’un de l’autre. Je l’ai aidé notamment sur une église et cette maison. Et enfin le dernier mois arrive le fameux projet d’école technique (raison de ma venue en Ouganda). Et là, j’ai dû faire mon plus gros projet en le moins de temps possible. J’ai pu concevoir jusqu’à 2 h avant mon vol pour Marseille, une école pour 200 jeunes, un séminaire, une maison d’accueil pour prêtre, des maisons pour professeurs, des dortoirs et une petite chapelle.

Et enfin, j’ai aussi découvert les richesses du pays en parcourant certains lieux plus touristiques. Après m’être fait amis avec des gens de l’ambassade et de l’Alliance Française, j’ai vadrouillé dans tous les coins. À l’est pour faire du Rafting sur le Nile, où j’ai cru mourir une dizaine de fois et ai bien profité de la bière locale.

Je suis parti également au nord, au mont Elgon troisième plus haute montagne d’Ouganda dont nous avons atteint le sommet en 1 jour et demi, soit 2600 mètres de dénivelé positif, toujours accompagné d’Hassan, notre guide que ne lâchait jamais sa belle paire de bote et sa kalash-nikov.

À L’ouest pour faire plusieurs Safaris au milieu de la savane, des rivières et des vallées verdoyantes. Et au sud, à la frontière du Rwanda, sur le Lac Bunyony où j’ai appris à nager à un spiritain.

Ce voyage, comme je vous l’ai dit, je l’ai vécu de 3 points de vue distincts. Celui donc d’un local, celui d’un volontaire et celui d’un touriste. Trois points de vue qui me laissent tous des souvenirs extraordinaires. Vous allez me dire, il manque un point de vue, celui du chrétien. Il faut savoir que ma foi s’est estompé depuis un certain temps, dans d’autres termes, je ne crois plus en Dieu. Mais je me sentirai toute ma vie catholique. Car s’il y a quelque chose dans lequel je crois, c’est toutes les valeurs que transmet la Bible. Et ces valeurs-là, suite à ces quatre mois, et bah, elles sont encore bien plus ancrées dans mon cœur.

J’en ressors non pas changé de ce voyage (parce qu’on reste nous-mêmes et ce n’est pas quatre mois qui vous changent) mais j’en ressors grandi. C’est difficile d’expliquer précisément en quoi, mais en tout cas, je le ressens dans ma perception quotidienne des choses.

Peut-être plus ouvert, plus débrouillard, moins envieux, plus humble, plus vivant, plus empathique. Dans tous les cas, ces quatre mois sont une source de joie et d’épanouissement qui me suivra toute ma vie.

Pour terminer, j’aimerais juste évoquer quelques moments qui m’ont marqué :

Certain très dur, mais très important, car il vous montre la réalité. Un homme blanc qui tenait par les cuisses une prostituée de moins de 14 ans et moi qui n’avais aucun moyen d’agir. Des témoignages, en particulier celui d’une femme qui me racontait le massacre de sa famille au Rwanda. La corruption et le clivage vertigineux entre riches et pauvres.

Mais il y a bien plus de souvenir merveilleux, notamment une petite cuite avec un séminariste paraguayen qui est aujourd’hui un véritable ami. Des messes charismatiques où des gens presque possédés hurlaient dans la salle à l’écoute du discours énergique du prêtre. (j’avais parfois l’impression que c’était le prêtre en question qui était possédé). Une nuit sous la tente où au réveil, nous avons découvert une meute de 5 lions à 100 mètres du campement. Un séjour au village, à cinq dans une chambre de 6 m², où l’on m’a servi des tripes de chèvres bouillies au petit déjeuner, mais où l’accueil était plus beau que celui du paradis. Manger de l’antilope avec le petit-fils d’un dictateur. Les domestiques de la maison des spiritains, qui au tout début n’osaient pas m’adresser la parole, et qui finalement, ont pleuré dans mes bras, lors de mon départ.

Et enfin, mon arrivée en France, où j’avais le sentiment, d’être un étranger…

Maxence – Ouganda – 2023