Nous sommes au mois de février 2010, et je peux voir au loin se dessiner, dans l’horizon encore légèrement trouble du mois de septembre, la ligne d’arrivée. D’un certain côté, je suis enthousiaste à l’idée de la franchir et de finir mes études d’ingénieur, cinq ans après mon BAC. Mais d’un autre côté, cet enthousiasme reste mesuré, et ne suffit pas à contrebalancer la sensation aussi curieuse que désagréable de vide qui m’habite depuis que j’ai quitté Paris pour Londres, et par la même occasion, le groupe de scouts et le groupe de servants d’autel dont je m’occupais l’année précédente.
Mes quelques tentatives de services communautaires un peu éparses, mais aussi l’envie de me confronter à d’autres réalités que celles auxquelles mes environnements familiaux et associatifs m’avaient confronté jusque-là, et surtout la nécessité ressentie d’une expérience spirituelle forte, ont fait ressurgir dans mes projets le spectre de la mission de coopération bénévole, qui attendait bien sagement dans un coin de ma tête depuis sa naissance lors de ma vie scoute et de mon engagement de routier « au service de mes frères du monde ».
C’est ainsi que, huit mois plus tard, en octobre, je m’envole. Direction la Mauritanie, et la mission catholique de Rosso, dans le Sud du pays. Je suis parti grâce à Opération AMOS, une association envoyant des jeunes volontaires, sur des périodes courtes (entre un mois en un an), au sein d’une organisation missionnaire. Je partais pour trois mois et demi, avec comme objectif de pouvoir vivre une expérience humaine, à la découverte d’une autre culture, me permettant de me laisser bousculer dans mes habitudes et mes idées reçues. Mais également une expérience spirituelle, par la vie en communauté à laquelle j’allais prendre part, au contact de religieux et religieuses porteurs d’un témoignage de vie chrétienne hors du commun (au sens du commun européen j’entends). Et le moins que je puisse dire, après une expérience finalement longue de cinq mois (trois étaient décidément beaucoup trop peu pour les découvertes que j’avais à faire), c’est que ces attentes n’ont pas été déçues !!
J’ai été formidablement accueilli par les membres de la Mission Catholique. Grâce au P. Bernard, missionnaire spiritain en charge de la mission de Rosso, en Mauritanie depuis 42 ans, grâce à son homologue nigérian le P. Clément, grâce à nos voisines les sœurs missionnaires de la société de Marie, et grâce aux mauritaniens habitués de la mission, qui m’ont tous accueilli comme un véritable frère, je me suis rapidement intégré, et surtout, senti très à l’aise. Ce qui m’a permis, au cœur de mes activités (informatisation et réaménagement d’une bibliothèque, chantier de construction, visite aux malades, et surtout soutien scolaire pour les collégiens et lycées de Rosso), de vivre les expériences humaines et spirituelles que j’attendais, avec une intensité que je n’osais même pas espérer.
Mes découvertes quotidiennes n’ont jamais cessé de me surprendre, se dévoilant progressivement derrière les sourires des enfants et au cours les discussions tantôt joviales, tantôt teintées de tristesse, mais jamais dépourvues d’espérance. Les temps de partages sont longs, francs, profonds. Combien de fois me suis-je retrouvé invité à partager un grand plat de couscous avec une famille entière qui m’accueillait comme si j’étais depuis toujours un membre à part entière de leur cercle d’amis intimes. Une invitation pour partager quelques verres de thé à la menthe brûlant semble tellement naturelle, comme l’accueil l’accompagnant, qu’on ne peut que se rappeler d’un certain passage de l’Ecriture, en Rm 12,10..
J’ai été frappé par les valeurs de partage et de don, présentes avec une intensité parfois même violente, chez les plus pauvres. Vraiment, me suis-je dit quotidiennement, la vraie richesse se situe dans le cœur, et combien nous-autres européens avons à apprendre de ceux que nous avons prétendu éduquer…
Quant au côté spirituel, j’ai été tout simplement comblé ! Je vivais mes journées au rythme de la vie de prière de la communauté, en ayant la chance de partager avec elle la messe et les offices quotidiens, comme l’adoration hebdomadaire. Immergé dans cet environnement recueilli et paisible intérieurement, ce sont mes journées entières qui s’en sont retrouvée bercées, comme portées sereinement par un flot paisible. Pour moi qui avais vécu 20 ans de ma vie dans des villes de plus de 9 millions d’habitants, au milieu du tourbillon incessant de mouvement et d’information, j’ai accueilli ce rythme comme une grâce particulière, qui m’a permis de percevoir la force paisible de la prière. Enfin, le témoignage de vie apporté par les missionnaires de Mauritanie m’a également profondément bouleversé. Quarante-deux religieuses et religieux sont présents sur le million de m² que forme le territoire mauritanien, au milieu de trois millions de mauritaniens, leurs frères musulmans. Parmi ces quarante-deux missionnaires, pas moins de trente-et-une nationalités différentes sont représentées. Des personnes que tout semble opposer : culture, apparence, origines familiales, et tant d’autres choses encore. Mais en vérité, une seule chose les unit, et elle est plus forte que toutes les différences : l’Amour du Christ et l’envie de l’annoncer au monde entier par le don gratuit de soi-même.
Ces témoignages de vie, de foi, de partage et de tolérance sont autant de merveilles qui resteront gravées dans mon cœur. Le retour a beau être rude, le choc culturel important, mais les enseignements sont tels qu’ils valent la peine d’être partagés. Et si les on-dit prêtent à l’Afrique de nombreuses maladies, j’espère bien répandre autour de moi celle que j’ai attrapée, la plus contagieuse et la plus répandue chez les enfants mauritaniens : celle du sourire.
Nous sommes au mois de mai 2011, la ligne d’arrivée me semble désormais bien loin, mais l’horizon est nettement moins trouble, et combien cette route est-elle agréable ! El hâmdu-lillah !
Étienne Frémont – octobre 2010 à mai 2011 – Rosso Mauritanie