Mission en Mauritanie : El Hamdouli’Allah !
Victorien est arrivé le 2 mai en Mauritanie pour un volontariat de 3 mois. Il nous livre ses premières nouvelles du terrain !
Dimanche 02/05/21
Ô Seigneur, la roue tourne entre tes mains
Où je vais, aujourd’hui, je ne sais
Ô Seigneur la roue tourne entre tes mains
Message du père Pachel : Salut Victorien, je te souhaite un excellent voyage. Puisse le Christ ressuscité t’accompagner.
Vue d’avion sur le désert. Y aurait-il donc des routes de migration, de passage ? Vu d’en haut, traverser cette immensité à pied semble impossible.
Le désert, d’abord rocailleux et accidenté, s’aplanit peu à peu jusqu’à devenir parfaitement lisse et doré. Finalement un nuage de poussière nous cache la vue du sol.
Si c’est la Mauritanie que je survole, je comprends que le pays ne compte que 3 millions d’habitants. En fait non, c’est déjà trop de monde pour pareil décor. Mais où sont-ils, comment vivent-ils ?
Le désert, c’est tout un imaginaire. Les 40 ans d’errance du peuple juif, la fuite en Egypte de la Sainte Famille, les Pères du désert et les ermites, les Croisades de Saint-Louis, la campagne d’Egypte de Napoléon, Charles de Foucauld dans le Hoggar, les caravanes Touaregs, les Maures, les Mamelouks, l’aéropostale de Saint-Exupéry, l’Afrikakorps de Rommel et la victoire de Leclerc et sa division blindée à Bir Hakeim. Ajoutons enfin Tintin et le crabe aux pinces d’or.
Cette année d’études en France était tout de même aride. Bien obligé de se tourner vers la Source de tout, pour ne pas mourir de soif, j’ai pu murir une vie de prière. C’est le désert, il nous reste l’essentiel.
République Islamique de Mauritanie
Ici, 2 heures de décalage seulement avec la France.
En République Islamique de Mauritanie on compte un peu plus de 4000 catholiques. Les conversions de l’Islam au Christianisme sont interdites. Aucune association chrétienne n’est reconnue officiellement. Cela dit, devant les faits de bienfaisance, et les faits sont tenaces, l’action de l’Eglise est tolérée dans le pays. Paroisses : Nouakchott, Nouadhibou, Rosso, Atar, et Kaédi.
Les pères Jacques et Nicolas de Nouakchott viennent me récupérer ! Dialogue pour l’obtention de mon visa avec la police et le père Jacques. La police est très efficace, me dit-on : « Il est là pour quoi ? – Pour apprendre. – Ah, c’est bon. » C’est souple.
Le père Pachel m’appelle à l’instant où, après plusieurs essais, je me connecte enfin au wifi : ils sont tous aux petits soins avec moi. Je vais sans doute bien plus recevoir que donner ici.
Sur la route de nuit vers Nouakchott, nous croisons des dromadaires sur la rocade : le dépaysement continue. Inutile de dire que la conduite des mauritaniens en voiture est approximative. Pas une voiture ne passerait le contrôle technique français, mais après ? Ça roule. Immédiatement les pères me nourrissent.
Boisson de gingembre et jus rouge : du bissap (jus d’hibiscus). Du poisson, du riz, du bœuf… Ma principale crainte pour ce voyage, le régime alimentaire, est immédiatement dissipée, balayée avec mes préjugés. Tout est délicieux.
Lundi 03/05/2021
La nuit fut presque froide, bon sommeil. Mais pas encore l’habitude du muezzin, ni du chant des coqs à 6h. Quand le muezzin cesse d’appeler à la prière, ce sont les coqs qui prennent le relais.
Nous sortons dans une vieille Mercedes avec le père Louis. La ville est un parfait mélange entre une ruche et un chaudron. Partout des turbans. Des mendiants, des estropiés dans les rues, assis au milieu du chaos routier. Les femmes conduisent, on peut acheter des cigarettes.
S’il y a de la pauvreté bien sûr, et un développement moindre, c’est une autre société, une autre culture et sans doute d’autres violences ici.
« Palais épiscopal » pour aller me présenter à l’évêque, au milieu des arbres en fleurs. Évêque, père blanc, un Allemand, de la région de Munster en Westphalie, nord-ouest de l’Allemagne. Il a été formé à l’ancienne, il parle latin. Une vingtaine d’années au Mali, à Mopti, puis depuis 1995 en Mauritanie. Il rencontre Saint Jean-Paul II, Benoît XVI et François.
À l’économat : Christian, frère blanc missionnaire. Québécois de la région de Rougemont proche de Montréal, le pays des pommiers, la Normandie canadienne.
Les sœurs missionnaires blanches : Marie-Ange, Victorine et Lucile. Des anges, qui par leur seule présence montre la sublimité du message du Christ. Prions pour ces grand(e)s témoins.
Même à Nouakchott, dans cette fureur urbaine, la citation du père de Lubac s’applique : « A travers la plus épaisse muraille du plus sombre cachot, l’étroite fente d’une meurtrière suffit pour attester le soleil.«
Les sœurs sont ce rayon de soleil. Nous nous rendons au jardin d’enfants de la Mission Catholique, avec le père Louis. Tenue par les sœurs indiennes de Béthanie, la directrice Rosewin nous reçoit. 240 élèves, de petite, moyenne et grande section. Une institutrice et une aide mauritanienne par classe de 30. L’éducation ici est sans doute la meilleure qu’on puisse trouver à Nouakchott. Je fais le tour des classes, les enfants sont intimidés, très sages et très choux. 95% sont musulmans. Le catéchisme pour les chrétiens à lieu à la paroisse. Pas de liberté de conscience, mais une liberté de culte dans ce pays, chez soi, pour les chrétiens. Aucune démonstration extérieure ne saurait être tolérée.
A la paroisse, repas avec 5 prêtres en tout. Riz et phacochère en sauce avec des oignons, mangue en dessert. Père Louis, Jacques, Victor, et deux autres encore venus de Attar. Tous sont sénégalais, béninois, guinéens, togolais, burkinabés etc.
Le soir, un chapelet sous les arbres, devant une statue de la Vierge, Notre-Dame de Mauritanie. Les sœurs de Béthanie sont là, du jardin d’enfants, de l’hôpital et de la paroisse. Le soir il fait froid, les écarts de température fatiguent tout de même le corps.
Mardi 04/05/2021
Les coqs, le muezzin, les moustiques, les klaxons, la chaleur, tout d’un coup s’est mis en branle à 4h30 du matin.
Occupé sur Nouakchott, nous partirons à Nouadhibou demain. On se rend au siège de la Caritas, dans des rues de sables ou rien n’est indiqué.
À Nouakchott, les migrants peuvent décider de renoncer au départ vers l’Europe, ils y restent, trouvent un travail etc. À Nouadhibou la situation est plus dure, ce sont les plus motivés au départ, ils ne veulent et ne peuvent pas rester là.
Mercredi 05/05/2021
Voyage entre Nouakchott et Nouadhibou : Le père Pachel m’offre un turban bleu. Je me grime rapidement en mauritanien, espérant mieux échapper ainsi aux nombreux contrôles de gendarmerie sur l’unique route, inévitable, et qui s’éternise quand il repère le toubab (le blanc) que je suis.
Bien que ce soit du désert, uniformément du désert, le paysage se transforme tous les 10 à 20 km. Là ce sont des dunes jaunes, là blanches ; là ce sont des palmes bercées par le vent aux abords d’une oasis.
Père Florian Pachel : originaire du Congo Brazzaville. Il a déjà pris le fameux bateau Etudes à Brazzaville puis au nord chez son père, près de la Centrafrique. Noviciat au Cameroun, philosophie à Libreville au Gabon.
Ils vont. L’espace est grand. Dans le désert immense, Dans l’horizon sans fin qui toujours recommence.
Le paysage est un état d’âme ? Je promène mes regards et nul obstacle ne barre l’horizon.
Le désert étend ses nappes de sable, dormantes et limpides. L’aspect en est glacial et mélancolique. Cependant l’atmosphère est encore claire. Les lointains bleus se confondent avec les dunes. Des tourbillons s’envolent. La brise se lève, sur cette rive occidentale du Sahara. Nous repartons quand le soleil se voile. Des dromadaires s’éloignent dans cet invraisemblable vide. Les mirages et effets d’optiques nous cernent, la route disparaît dans le flou de chaleur. Et l’horizon aussi.
Nouadhibou
La ville portuaire est continuellement battue par des vents contraires, alizés et zéphirs. Ça souffle fort, du large, ou du désert. Le fond de l’air est bien changé, salin, iodé, comme une odeur de poisson. Et on y étouffe moins qu’à Nouakchott : le chaudron humain, de poussière et de klaxons.
Beaucoup de charrettes tirées par de tout petits ânes, des troupeaux de chères broutent du plastique, des chameaux paissent paresseusement, du sable sur les routes et du soleil, fatal et inlassable soleil.
On approche du centre-ville, le sable se retire de la chaussée, des trottoirs apparaissent, des restaurant chinois et espagnols, des consulats, l’aéroport etc. Nous sommes arrivés.
La mission catholique :
Petite chambre simple, WC, douche, lavabo pour moi seul ! J’adore, c’est tout le confort qu’il faut.
Père Georges, père blanc, né en 1942, aveyronnais. 20 ans à Ouagadougou au Burkina-Faso. Trop chaud désormais sous ces tropiques, il est venu se mettre au frais à Nouadhibou. Il donne des cours, organise la bibliothèque, prépare les confirmants ! Même si la formation avec la Paroisse Sainte-Famille du Crestois a été très bonne, je vais pouvoir compléter ici avant la confirmation.
Frère Arthur : né en République Démocratique du Congo, Kinshasa. Il a commencé des études de vétérinaire avant de rejoindre les spiritains.
Frère Norbert : né en 1995 en Guinée Conakry. Il a rencontré le cardinal Sarah. Il chante très bien. 2 ans de médecine avant de suivre plus totalement encore le Christ.
Repas de roi, du gombo, du bissap, du jus de pain de singe (le fruit du baobab) et nougats de Montélimar. Messe dans l’église, bâtie sur un ancien récif océanique, surplombant la mission et la ville environnante. Superbe. Première fois que je communie en entendant le muezzin dehors.
Jeudi 06/05/2021
Laudes et messe à 6h45, au lever du soleil.
Formation avec la Caritas sur l’écoute active des migrants. La Caritas Mauritanie, dont j’ai rencontré le directeur à Nouakchott, Monsieur Boulanger, et composé uniquement de musulmans ! C’est une copie des actions de l’Eglise, comme le Croissant Rouge suit l’exemple de la Croix Rouge.
Il va falloir réfléchir, comment utiliser nos cours de négociation commerciale, de découverte des problèmes profonds, des ressorts humains. Épurer le cours de la partie « business », pour en garder seulement les outils.
Passer les besoins de première nécessité (boire, manger, dormir) que les migrants demandent à Nouadhibou ; il est plus difficile parfois de comprendre les raisons profondes qui font se risquer ces personnes sur la mer. Le but va être de mieux découvrir le problème profond, qui motive un départ, pour les accompagner. Leur expliquer ce qui se passe sur la fin du voyage qu’ils envisagent, des naufrages, des morts, des situations très dures en Europe. Je rencontre peu à peu des migrants qui vivent dans la mission, notamment Jordi de Centrafrique, qui a fui la guerre entre chrétien et musulman. Bona du Mali. Les histoires sont dures.